Conflits territoriaux, droit d’option de nationalité et déplacements de population n°2

Le cas de l’Alsace-Moselle après la guerre Franco-Prussienne de 1870-1871 (1/2)

Merci à Benoît Vaillot et Pierre Brasme pour leurs travaux qui ont inspiré cet article

Chères Aulnaysiennes, chers Aulnaysiens, 

La série d’articles que je poursuis interroge l’actualité récente par l’histoire des conflits territoriaux, du droit d’option de nationalité et des déplacements de population essentiellement aux XIXème et XXème siècles.

Le présent article porte sur le cas de l’Alsace-Moselle après la guerre Franco-Prussienne de 1870-1871.

Malgré l’annexion de Nice et de la Savoie, la politique étrangère de Napoléon III fut désastreuse. Le 19 juillet 1870, elle aboutit à la déclaration de guerre contre la Prusse de Guillaume Ier, alliée à plusieurs États allemands. Le 1er septembre 1870, la France connut un désastre militaire à Sedan durant lequel l’empereur Napoléon III fut fait prisonnier. Le 4 septembre 1870, la IIIème République fut proclamée, mettant fin au Second Empire. Les Allemands envahirent le Nord de la France et assiégèrent Paris qui capitula le 28 janvier 1871.

Le 1er mars 1871, le traité préliminaire de paix entérinant la cession de l’Alsace Moselle à l’Empire allemand fut ratifié, à la demande d’Adolphe Thiers (premier chef de l’État de la troisième république), par le parlement français réuni à Bordeaux. Les députés opposés, essentiellement parisiens et des territoires concernés, se retrouvèrent très minoritaires. 546 députés furent favorables à la cession, 107 contre et 23 s’abstinrent. Les élus des territoires d’Alsace et de Lorraine cédés signèrent un texte de désapprobation appelé « la protestation de Bordeaux ». [i] 

Ce vote contribua au déclenchement de la période insurrectionnelle de la Commune de Paris entre le 18 mars 1871 et le 28 mai 1871 réprimée par le gouvernement de Thiers lors de ce que les contemporains qualifièrent de Semaine sanglante[ii]. Mais c’est une autre histoire. Revenons à la cession de l’Alsace-Moselle.

Le 10 mai 1871, le traité de paix, signé à Francfort par Thiers, obligea la France à verser 5 milliards de francs-or et à céder les trois quarts de l’ancien département de la Moselle, un quart de celui de la Meurthe, quelques communes situées dans l’est du département des Vosges, les cinq sixièmes du département du Haut-Rhin et l’intégralité du Bas-Rhin.

Carte des territoires d’Alsace-Moselle cédés[iii]

En réalité, l’Alsace et la Moselle étaient annexées de facto depuis le 14 août 1870, huit jours après la défaite de Mac-Mahon à Frœschwiller.

L’Alsace et la Moselle annexées à l’Allemagne étaient des régions industrialisées et prospères. Leur perte « ampute le PIB français de 20 %. Le Gouvernement doit emprunter pour payer l’indemnité exigée par l’Allemagne. La dette publique passe de 55 % du PIB en 1869 à plus de 115 % en 1880. Or au-delà de 90 %, on considère généralement qu’elle entrave la croissance économique. La défaite en elle-même aura coûté un quart du PIB, dans un contexte mondial déjà en pleine crise bancaire dite ‘’longue stagnation’’ (1873-1897), provoquée entre autres par l’injection massive de monnaie dans le système bancaire allemand. Le ratio d’endettement public ne commencera à refluer en France qu’en 1895[iv] ».

En décembre 1871, le nouveau Richland Elsaß-Lothringen avait une superficie de 14 522 km2 et comptait 1 600 000 habitants qui devinrent de facto Allemands. Néanmoins, ils eurent la possibilité s’ils le souhaitaient de rester français à certaines conditions. L’article 2 du traité stipulait en effet que « Les sujets français, originaires des territoires cédés, domiciliés actuellement sur ce territoire, qui entendront conserver la nationalité française, jouiront jusqu’au 1er octobre 1872, et moyennant une déclaration préalable faite à l’autorité compétente, de la faculté de transporter leur domicile en France et de s’y fixer ». Quant aux Alsaciens et Mosellans résidant hors de France métropolitaine, ils eurent jusqu’au le 1er octobre 1873. Les habitants de territoires cédés eurent donc un an et cinq petits mois pour se décider. C’est « l’option », acte administratif lourd de conséquences : rester et devenir Allemand ou partir et rester Français.

Fiche d’option[v]

Sur les 1 600 000 Alsaciens et Mosellans des territoires cédés et les 380 000 résidant en France ou à l’étranger, plus de 540 000 optèrent pour la nationalité française selon certaines estimations.

Près de 280 000 des Alsaciens et Mosellans des territoires cédés firent une déclaration d’option française et 130 000 partirent avant le 30 septembre 1872. Les autorités allemandes furent très surprises de cette ampleur.

Si 130 000 quittèrent les territoires cédés entre 1871 et 1872, beaucoup d’Alsaciens et de Mosellans avaient fui durant la guerre de 1870 et les départs se poursuivirent après 1872 pour atteindre 400 000 en cumulé jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale. Dans le même temps, un nombre équivalent d’Allemands s’installèrent dans ce nouveau Reichsland.

Revenons à la date butoir laissée aux Français des territoires cédés pour opter. Le 30 septembre 1872, l’administration allemande se mit à chercher tous les optants pour vérifier s’ils avaient bien quitté les lieux. Les optants n’ayant pas quitté les lieux étaient nombreux, beaucoup pensant que les territoires cédés redeviendraient rapidement français. Ces contrôles des autorités allemandes provoquèrent le départ de nombreux jeunes refusant d’effectuer le service militaire obligatoire prussien particulièrement rude et qui risquaient de ce fait d’être condamnés par les tribunaux militaires à l’interdiction de revenir sur les territoires cédés avant 55 ans révolus (fin des obligations militaires dans Ia Landwehr). Cela expliquait la surreprésentation des jeunes hommes de 18 à 25 ans parmi ceux qui optèrent ou partirent légalement ou illégalement après. Résultat : fin 1872, les autorités allemandes constatèrent avec effroi que 70 % des recrues des classes de 1851 et de 1852 manquaient à l’appel.

Focus sur les mosellans

Option, émigration légale et clandestine enlevèrent à la Moselle près de 200 000 personnes sur 474 316 habitants recensés en décembre 1871. Cependant, toute la Moselle ne fut pas touchée dans les mêmes proportions, l’optant type étant un bourgeois francophone urbain et catholique, le non optant type étant a contrario un germanophone rural et protestant.

Nombre d’optants par rapport à la population civile en 1871 par cercles[vi]

Au sein du cercle de Sarreguemines, les options furent d’autant moins nombreuses que les autorités allemandes en annulèrent beaucoup pour éviter les pénuries de main-d’œuvre notamment dans les verreries du pays de Bitche. Les artisans et les ouvriers d’usine furent d’ailleurs les plus touchés par l’annulation. Cependant, le sentiment anti-allemand était loin d’y être insignifiant.

L’option dans le cercle de Sarreguemines[vii]

Les destinations des optants

Les optants partis après 1871, qui souvent parlaient uniquement leur dialecte alsacien ou lorrain, partirent pour Paris et sa région, l’Algérie, les États-Unis, mais surtout en Lorraine restée française, mais aussi en Suisse et au Luxembourg, d’où il était possible d’administrer leurs biens à distance. À Paris vivait déjà une importante diaspora alsacienne depuis le milieu du XIXème siècle et en Seine – Saint-Denis depuis le moyen âge.

« À défaut d’être officiellement encouragés à franchir la frontière [par le gouvernement français], les migrants bénéficient d’une solidarité nationale extraordinaire dont la presse se fait le relais. Ils peuvent obtenir des bons pour des repas, des vêtements, un logement ou des billets de train auprès de comités de secours qui se constituent près de la nouvelle frontière.[viii] »

Le retour de l’Alsace-Moselle à la France

Investie par les troupes françaises dès la fin de la Première Guerre mondiale, l’Alsace-Lorraine fut officiellement restituée à la France par le traité de Versailles du 28 juin 1919, après quarante-huit ans d’annexion prussienne.

Le traité de Versailles reconnut le principe du droit des Alsaciens et Mosellans de revenir dans leurs foyers d’origine. La « loi du 14 août 1919 sur le retour des Alsaciens-Lorrains à leurs domiciles » l’organisa ce droit. Cependant, après plusieurs décennies durant lesquelles les héritages s’étaient transmis, sa mise en œuvre ne fut pas toujours possible et créa des tensions entre ceux qui étaient restés et avaient hérité et ceux qui étaient partis et se retrouvaient souvent sans rien et qui restèrent là où le sort les avait jetés. C’est ainsi que mes arrières grands-parents originaires d’Alsace et de Moselle et mes grands-parents restèrent à Paris où ma mère naquit.

En parallèle, l’expulsion massive des Allemands de souche installés après 1871 fut rapidement mise en œuvre.

Et vous, que pensez-vous de cette période de l’histoire de France ? Que vous inspire-t-elle par rapport aux conflits actuels ?

Sylvie Billard

Votre élue citoyenne

Lien vers les autres articles :


[i] https://fr.wikipedia.org/wiki/Alsace-Lorraine

[ii] https://www.youtube.com/watch?v=MSP2rYgUqFE

[iii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Alsace-Moselle#/media/Fichier:Alsace_Lorraine_departments_evolution_map-fr.svg

[iv] https://archives-nationales-travail.culture.gouv.fr/Decouvrir/Dossiers-du-mois/La-guerre-de-1870-un-desastre-economique-et-social

[v] https://genealogiealsace.wordpress.com/2021/07/21/loption-de-nationalite/

[vi] chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://docnum.univ-lorraine.fr/public/UPV-M/Theses/1997/Brasme.Pierre.LMZ9712_2.pdf

[vii] chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://docnum.univ-lorraine.fr/public/UPV-M/Theses/1997/Brasme.Pierre.LMZ9712_2.pdf

[viii] https://www.cairn.info/revue-d-histoire-du-dix-neuvieme-siecle-2020-2-page-103.htm#no2

Publié le 22 janvier 2024, dans Non classé. Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.

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