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La suppression des départements ne garantit pas des économies
Progressivement, supprimer les départements fait consensus. 55 % des Français y seraient favorables. « Les esprits sont mûrs, confirme Géraldine Chavrier, professeure de droit public, car les départements sont à bout de souffle, étranglés par le poids des dépenses sociales et parce qu’une alternative est enfin constituée grâce à l’achèvement de la couverture intercommunale du territoire. »
Si l’obstacle constitutionnel pourrait être contourné en faisant des départements des coquilles vides dépecées de leurs principales compétences, tous les écueils seraient-ils pour autant évacués ? Pas si sûr. Puisque toute la question consiste à savoir, désormais, comment réorganiser les services publics entre les nouveaux niveaux de collectivité (régions fusionnées et intercos renforcées), mais aussi entre les espaces territoriaux existants.
Prestataire de services – Plusieurs scénarios se profilent. Le transfert aux régions de la gestion des collèges et des transports semble privilégié. La reprise en main par les intercommunalités des autres compétences départementales telles que les missions de solidarité, l’entretien des routes ou les multicompétences (sport, culture, vie associative, etc.) paraît moins évidente, notamment du fait de la disparité des ressources entre EPCIurbains et ruraux.
Géraldine Chavrier fait valoir que « ces actions pourraient facilement être absorbées par des intercommunalités devenues solides et intégrées ».
Le deuxième projet de loi relatif à l’acte III de la décentralisation irait dans ce sens en prévoyant « un maillage du territoire qui s’appuierait en milieu urbain sur des agglomérations, voire des métropoles, et en milieu rural sur des pôles d’équilibre territoriaux et ruraux issus du regroupement des communautés de communes », explique Bruno Roudier, directeur général de la société d’étude et de conseil Edater, tout en avertissant qu’un tel schéma « mettra du temps à se construire ».
Tout en ajoutant que « le déficit d’évaluation important laisse la place à des hypothèses chiffrées d’économies potentielles peu étayées et limitées à une approche par les coûts. Il faut engager une évaluation ex ante de la réforme qui interroge la cohérence des politiques publiques. »
Le transfert des prestations sociales se révèle de toute évidence le plus complexe. Si les grandes agglomérations et les métropoles peuvent s’appuyer sur des ingénieries existantes, telle la mission locale, qu’en sera-t-il en milieu rural ?
Dès lors, de nombreux acteurs militent en faveur d’une réappropriation de l’action sociale par l’Etat par le biais des caisses d’allocations familiales ou des agences départementales. « La suppression des départements n’exclut pas que ceux-ci demeurent sous une autre forme que celle d’une collectivité territoriale, imagine Géraldine Chavrier. Ils pourraient devenir des établissements publics chargés uniquement d’instruire les dossiers d’aide sociale et constitueraient un excellent prestataire de services, sur demande des intercommunalités et de l’Etat. »
Mais Cédric Mauduit, senior manager au sein du cabinet de conseil Kurt Salmon, à l’instar de Yann Le Meur, pdg de Ressources consultants finances, doute des avantages que l’une ou l’autre de ces solutions apporterait tant en matière d’économies que de qualité de service. « Eclater des compétences départementales en autant de groupements de communes est l’inverse de la mutualisation, observe Yann Le Meur, il faudra donc recréer des services dans les intercos. »
De plus, les dépenses sociales, qui s’élèvent à près de 35 milliards d’euros, sont peu compressibles sans changement structurant des lois. Au final, « l’assiette d’économies potentielles du fait de la suppression ne porte que sur la moitié de leurs dépenses (75 milliards d’euros) », rappelle Cédric Mauduit.
Trois leviers – Dès lors, quel volume d’économies peut-on attendre de l’effacement des départements ? Plus besoin d’assemblées délibérantes ni d’élus et fin du dispositif nécessaire à leur fonctionnement (bâtiment, cabinet, communication, etc.). Certes, les sommes en jeu restent réduites, contrairement aux frais généraux qui représentent entre 7 et 8 % des dépenses de fonctionnement des départements (56 milliards d’euros), soit plus de 4 milliards dont 1 de masse salariale (35 000 agents sur 365 000 sont affectés à la gestion).
« Mais, prévient Bruno Roudier, le gain ne sera pas immédiat car, pour continuer à assurer les interventions des départements, il faudra maintenir certains services opérationnels qui ne seront que progressivement mutualisés avec les autres niveaux de collectivité. » Un processus long et coûteux à mettre en œuvre…
Bref, pas de quoi modifier la situation du déficit public. « Un changement radical du mode d’exercice des compétences n’est pas susceptible d’apporter des économies en trois ans à l’échelle des 11 milliards », assure Yann Le Meur.
Pour sa part, Cédric Mauduit suggère trois leviers d’économies aussi efficaces que rapides à activer. Le premier consiste à mettre fin à l’exercice des compétences facultatives par les départements (sport, jeunesse, culture et vie associative) qui distribuent 2,2 milliards d’euros de subventions.
Le deuxième concerne la mutualisation de la gestion des collèges (4,4 milliards) et des lycées entre les conseils généraux et régionaux. « Une rationalisation de la restauration et de l’entretien diminuerait, a minima, de 6 % le budget éducation des départements », estime-t-il.
Troisième levier, la réduction de moitié du taux d’absentéisme (10 % en moyenne) pourrait générer « 500 à 600 millions d’euros d’économies » sur une masse salariale de 12 milliards. Ce taux élevé étant directement lié aux compétences des conseils généraux et aux métiers difficiles qu’elles impliquent, « une meilleure GPEC Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. réduirait l’absentéisme par une anticipation du reclassement des personnes avant qu’elles ne deviennent inaptes », assure Cédric Mauduit.
Source : La Gazette des communes, article proposé par Annie Neveu