Aulnay-sous-Bois : la ville dit adieu au carrefour de la Négresse

negresse_aulnayLes surnoms sont tenaces. Le conseil municipal d’Aulnay-sous-Bois devrait décider ce soir de débaptiser le carrefour de la Négresse. L’immense rond-point coincé sous l’autoroute A3, à la lisière des villes d’Aulnay et du Blanc-Mesnil, cauchemar des apprentis conducteurs, sera renommé carrefour des Droits de l’Homme. C’est l’aboutissement d’une longue réflexion menée par le comité de dénomination des rues. Et une satisfaction pour le maire adjoint PS Grégoire Mukendi, qui en avait fait la demande. « Il suffit de consulter un dictionnaire, d’aller sur Internet, pour trouver une connotation dégradante à ce mot, qui fait référence à l’esclavagisme et à la servitude ». Le plus surprenant dans cette affaire, ce n’est pas la survivance de ce surnom, hérité du passé… Mais le fait qu’il n’est devenu nom officiel du carrefour… qu’en 2004. A l’époque, le maire UMP Gérard Gaudron avait invoqué la nécessité de « régulariser » un usage répandu. Si répandu d’ailleurs, qu’il vaut aussi de l’autre côté du carrefour, situé en terres blancmesniloises. Pourtant, de ce côté-ci de la frontière, le carrefour porte le nom du résistant Pierre Sémard, depuis 1945.

Un café à l’origine de ce nom

« Mais dans le temps, tout le monde parlait du carrefour de la Négresse. J’ai connu le café qui s’appelait ainsi », se souvient Pierre Vandervoorde, 87 ans, un riverain arrivé en 1955. C’est bien un café qui est à l’origine de ce nom. La bâtisse existe toujours. C’est une maison de ville sans grand caractère, désormais occupée par un restaurant indien, en bordure du carrefour. En fouillant dans les archives municipales, on retrouve une photo noir et blanc des années 1910, où se dresse la maison Matrand, offrant vins et liqueurs à ses clients. Dans les années 1930, elle devient le « café de la Négresse ». Les témoins de l’époque affirment qu’on surnommait ainsi l’établissement parce qu’il abritait une serveuse… auvergnate, dotée d’un teint très mat. L’enseigne marque les esprits : rapidement le café donne son nom au carrefour, qu’on appelait auparavant carrefour des Cinq-routes, ainsi qu’au garage voisin. Aujourd’hui encore, il existe un « tennis de la Négresse », situé sous le pont autoroutier et qu’indiquent deux panneaux plantés au bord de la route. Mais il faudra sans doute du temps pour que les « Droits de l’homme » chassent l’ancienne appellation. « On l’appelle toujours comme ça, c’est machinal. C’est un repère. Quand on le nomme, tout le monde sait où il se trouve », note Nicolas, 37 ans. Et pourtant, si on y réfléchit, c’est vrai que ce n’est pas très joli comme nom… »

Ce nom usuel était devenu officiel… en 2004

C’était le 27 mai 2004. Le maire UMP d’alors, Gérard Gaudron, soumettait au conseil municipal une délibération, afin de « confirmer officiellement » une appellation existant « de longue date » et de l’inscrire au plan cadastral. L’édile pointait en effet une difficulté, notamment lors d’accidents de la circulation : « Un certain nombre d’opérations de police se font dans ce secteur […]. Lorsqu’on met carrefour de la Négresse sur un compte rendu, sur un procès-verbal, sur tout acte, il n’est pas valable parce que ce lieu n’est pas répertorié, et notamment pour les assurances ». « J’avoue que cela me gêne un petit peu », avait rétorqué Bernard Labbé, élu communiste, en conseil municipal. L’élu avait rapporté que ses gendres « qui sont noirs » avaient été « surpris » de découvrir l’existence d’un carrefour de la Négresse.

Une saisine du comité de dénomination des rues

« Cela fait belle lurette que le terme n’est plus péjoratif de notre côté », assurait pour sa part un élu de droite. La délibération avait finalement été adoptée par 40 voix (37 de droite, une du groupe socialiste, 2 du groupe communiste), contre 5 abstentions (4 du groupe socialiste, une du groupe communiste). Le maire PS actuel, Gérard Ségura, a été saisi par le comité de dénomination des rues, animé par le maire adjoint PC Miguel Hernandez, qui a d’abord fait valoir le caractère « péjoratif » du toponyme. Ayant obtenu le feu vert de l’édile, le comité, qui regroupe des représentants de tous les groupes politiques, a ensuite planché sur une nouvelle proposition. « Le temps de discussion a été long, sur un sujet sensible », souligne Miguel Hernandez, qui va également proposer le nom d’Henri Soler, résistant aulnaysien, pour baptiser une allée de la ville.

Publié le 16 janvier 2014, dans Actualité, Histoire, Politique, et tagué , , . Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.

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